LES PARTICULARITES DE LA LANGUE FRANÇAISE PARLEE A BRAZZAVILLE
Par Jacky MANIACKY
Introduction
Lorsqu'en 1988 je suis arrivé en France, j'ai été étonné par les remarques qui m'étaient faites à propos de termes et tournures que j'employais pour m'exprimer. J'ai donc décidé de relever un à un ces mots qui semblaient causer tant de malaises aux oreilles des enfants du pays de Molière. Un séjour à Brazzaville en 1992, après donc quelques années dans le pays du "Français de référence" (pour ceux qui croient qu'il existe!), m'a facilité la tâche. Comme je le souhaitais, j'ai pu aborder la langue française parlée dans cette capitale avec une oreille devenue quelque peu étrangère.
Le travail qui suit se veut être une contribution, aussi modeste soit-elle, à l'usage d'une langue commune (en l'occurrence le français) pour faire partager des réalités bien différentes. C'est en effet là, la définition la plus respectable de la francophonie, réservant aux politiciens et économistes toute intention dérivée.
Aperçu général
Le Congo est l'un des pays africains pour lesquels l'étiquette de 'pays francophone' n'est pas attribuée à tort. En effet, une grande partie de la population a une réelle connaissance du français. Bien que ce soit la seule langue dite officielle dans ce pays, le français doit plutôt sa réussite aux forts taux d'urbanisation et de scolarité. Le français tire également profit de la bipolarisation linguistique du Congo. Les deux langues nationales (lingala et munukutuba), bien qu'elles coexistent sans trop de heurts, permettent au français de se positionner en "langue arbitre", ou mieux "langue de tous"! Voilà qui amène à parler de représentations de la langue française dans l'imaginaire congolais. Savoir parler français n'est jamais mal perçu. Au contraire, c'est une preuve que l'on a bénéficié d'une instruction scolaire. Mais il ne faudrait pas confondre "savoir parler" et "parler". En effet, il y a des circonstances pour lesquelles l'usage du français est positivement perçu, d'autres où il s'impose, et enfin des cas (rares) où cela serait considéré comme prétentieux ou provocateur. Mais avant toute chose, précisons la singularité de la situation de Brazzaville, à l'intérieur du cas congolais.
Environnement linguistique
Brazzaville rassemble près d'un tiers de la population totale du pays. Fondée il y a plus de deux siècles sur un site appelé M'foa, en pays téké, son essor a attiré principalement les populations rurales avoisinantes (locutrices de lari) ainsi que celles venues du nord (dont la langue véhiculaire est le lingala). Mais le brassage des populations n'a pas été total, et il l'est encore moins suite aux événements survenus dans cette ville. Les populations de langue lari, venant de la proximité ouest, ont constitué les quartiers ouest de la capitale. De même, les originaires du nord du pays peuplent principalement les quartiers nord de la ville. Au centre et dans les autres quartiers où les origines des habitants sont plus variées, la langue lingala l'emporte souvent, même si l'on peut entendre du munukutuba (réduit à une aussi petite place, alors que cette langue se taille la part du lion dans la capitale économique, Pointe-Noire). Un autre facteur appuie la prédominance du lingala: seul le fleuve Congo, pour imposant qu'il soit, sépare Brazzaville de la capitale du Congo démocratique, Kinshasa. Ce voisinage est accentué par les médias (radios et télévisions des deux pays sont intercaptables dans ces capitales) et par la présence d'une communauté ex-zaïroise importante à Brazzaville. Or c'est également le lingala qui émerge comme première langue véhiculaire à Kinshasa.
Et le français dans tout çà! Il est bien présent, dans cet univers plurilingue.
Des langues en contact
Mais de quel français s'agit-il? On évoque souvent les emprunts au Français dans les langues véhiculaires d'Afrique francophone, mais la situation inverse existe également. C'est ainsi que le français parlé au Congo est sculpté suivant l'art Bantou, "assaisonné" aux saveurs locales, adapté aux réalités du pays. Pourquoi utiliserait-on au Congo une expression telle que "tomber dans les pommes"! L'ampleur des retouches reste cependant faible. Le lexique proposé ici n'est pas pour autant exhaustif; il faudrait y ajouter notamment les mots culturels, c'est-à-dire ces mots qui véhiculent une réalité propre à Brazzaville ou au Congo (vocabulaires spécifiques de la flore, de la faune, de la gastronomie...). Bien que quelques-uns de ces mots culturels figurent dans ce lexique, du fait de l'utilisation fréquente qui en est faite, le but principal de ce travail est plutôt de montrer les différences, donc de faire un travail de comparaison. Comparons donc ce qui est comparable! La norme , ou si l'on préfère, la référence est ici le Français de France tel que décrit dans les principaux dictionnaires contemporains. Le français décrit ici est dit de Brazzaville car il ne serait pas exact de généraliser son usage à l'ensemble du pays, même si quelques termes sont employés non seulement dans tout le pays, mais aussi au-delà de ses frontières. De l'influence des langues congolaises sur le français découle une légère diversité lexicale de ce français suivant la région. Dans la capitale économique, Pointe-Noire, l'impact du lingala fait place à celui du munukutuba. On peut ainsi entendre des termes tels que l'adjectif "sikidilatif" (qui inspire confiance) ou le nom "ziboulateur" (ouvre-bouteilles), pour ne citer que ces deux là.
Orthographe
Nous évoquons ici un langage plutôt parlé qu'écrit. Il a fallu par conséquent faire un choix quant à l'orthographe des mots répertoriés. Si un terme existe déjà en Français de France, mais qu'à Brazzaville, sa valeur a évolué différemment, le problème ne se pose pas. Si un terme est par contre inconnu, mal connu, ou encore non reconnu de nos chers académiciens du bord de Seine, la logique voudrait qu'on l'orthographie de la façon la plus simple possible, avec toutefois un minimum de repères:
adopter une même lettre pour un même son, c'est à dire par exemple, "k" (et jamais "c" ou "qu") pour le son [k], "ou" pour le son [u] (même si l'origine bantoue de certains mots nous pousserait à mettre un "u"). On peut également s'inspirer de la réalisation orale du féminin d'un terme pour en décider la terminaison (ex: polard, car le féminin est polarde).
Enfin, on fera volontiers usage de l'Alphabet Phonétique International pour transcrire quelques prononciations.
De la mélodie dans l'expression
Avant d'aborder le lexique proprement dit, il peut être intéressant de signaler l'usage fréquent d'interjections mélodiques. C'est la mélodie qui détermine le sens de l'expression. Avec des cris qui parlent, les six principales interjections usitées au Congo sont représentées grace à des exemples sonores.
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